Le palmarès de la 70ème Mostra de Venise a été dévoilé samedi et le jury présidé par Bernardo Bertolucci a déjoué tous les pronostics. Et surpris tout le monde.  Des favoris comme Le vent se lève, il faut tenter de vivre d'Hayao MiyazakiUnder the skin avec Scarlett Johansson ou Tom à la ferme de Xavier Dolan repartent bredouille. C'est Sacro GRA de Gianfranco Rosi - compatriote du président - un film présenté en toute fin de festival et peu vu par les festivaliers qui remporte le Lion d'or. Sacro GRA ? GRA comme Grande Raccordo Anulare, le plus grand périph en Italie. Ce documentaire concept porte un regard neutre sur les vies d'individus qui évoluent aux abord de cet axe - comme des tranches de vies découpées et étalées sur des années (le réalisateur a sillonné le GRA à bord d'un minivan pendant deux ans)... Visiblement ce qui intéressait Rosi pour cet ovni poétique, c'était la rencontre entre l'immobilisme, la lenteur, le permanent et un univers en révolution permanente. Pas de commentaire, ici, pas de jugement, juste une observation et des croisements. Comme les autres docus de Rosi, adepte du cinéma direct, Sacro Gra est un film aride, déconstruit, saisissant par son ampleur existentielle, son dispositif très littéraire (le film est inspirés des cités invisibles de Calvino) et son pessimisme crépusculaire, un doc qui dresse le portrait des laissés pour compte de la société moderne et qui a partagé les festivaliers mais enthousiasmé le jury.

Ce véritable OVNI accentue surtout la sensation que ce 70ème festival de Venise était marqué par des films à l'aspect documentaire très fort. On pense au réalisme de Joe, à l'histoire (vraie) du Miyazaki, ou au réel de Philomena (une true story qui parle aussi de la crise de la presse et de la recherche de la vérité)... Ce dernier film signé du vétéran Stephen Frears repart d'ailleurs avec le prix du meilleur scénario.

L'autre grand vainqueur de cette Mostra, c'est Miss Violence du grec Alexandro Avranas, qui repart avec lion d'argent (meilleur réalisateur) et le prix du meilleur acteur (Themis Panou). Un choix d'autant plus étonnant que le film a réellement divisé le public de Venise. Entre le Vinterberg de La Chasse et Festen (la pédophilie au coeur d'un dispositif de thriller) et le Haneke de Funny Games (volonté assumée de provoquer et de manipuler le spectateur) le film dresse le portrait d'une famille dysfonctionnelle avec un "twist" diabolique. Après avoir soufflé ses 11 bougies d'anniversaire, une gamine se défenestre, laissant sa famille silencieuse, atterrée et surtout avec un sacré paquet de linge sale à savonner...Mise en scène au cordeau pour un film coup de poing qui ressemble parfois - pour ses détracteurs - à une caricature de film de festival : les prix attribués à ce film semblent moins vouloir récompenser une mise en scène ou un acteur qu'attirer l’attention sur un cinéma grec en ébullition (Miss Violence ressemble à du Yorgos Lanthimos sans le surréalisme) et une société au bord du gouffre. A cause de son cadre hitchcockien, de son label film de festival et de l'allégorie sociale (le silence de la famille est en fait celui d’une société qui se tait face à un gouvernement incapable), Miss Violence a été aussi adoré que détesté.

L'épatant Tye Sheridan (16 ans), révélé par Tree of Life puis Mud, remporte le prix de la révélation pour le drame sudiste Joe avec Nicolas Cage. Seul prix incontestable ? Ce serait péremptoire d'affirmer ça, mais on est obligé d'admettre que face à Cannes et à son palmarès indiscutable et ouvert, réussissant à jongler entre mainstream et révolution esthétique et artistique, Venise semble se radicaliser un peu plus dans un auteurisme sans concession (on ne voit pas d'autre explication à l'absence des noms présents en compétition, de Gilliam à Miyazaki en passant par Dolan). Alors que la Mostra paraît menacée (eclipsée en glamour par Cannes, concurrencé par Toronto et Rome), voilà le genre de palmarès qui va faire débat mais promouvoir une certaine "intégrité" du festival.

Le palmarès complet du 70ème festival de cinéma de la Mostra de Venise :

Lion d'or : Sacro GRA de Gianfranco Rosi

Lion d'argent du meilleur réalisateur : Alexandro Avranas pour Miss Violence

Grand Prix du Jury : Stray Dogs de Tsai Ming-liang

Coupe Volpi - interprétation féminine : Elena Cotta dans Via Castellana Bandiera

Coupe Volpi - interprétation masculine : Themis Panou dans Miss Violence

Prix Spécial du Jury : Die Frau des Polizisten de Philip Gröning

Prix Osella pour le meilleur scénario : Philomena de Stephen Frears

Prix Marcello Mastroianni du meilleur jeune interprète : Tye Sheridan dans Joe

Prix Luigi de Laurentiis du 1er film : White Shadow de Noaz Deshe

Prix Orizzonti : Eastern Boys de Robin Canpillo