Ex Machina
Universal

Un film de SF à (re)voir ce soir sur Arte.

Romancier générationnel (La Plage) et scénariste essentiel (28 jours plus tardSunshine, Never let me goDredd…), l’Anglais Alex Garland, passait en 2015 derrière la caméra avec Ex_Machina, un huis clos SF racé où s’agitent un tech billionaire cintré (Oscar Isaac), un codeur ahuri (Domhnall Gleeson) et l’une des femmes robots les plus sexy de l’histoire (Alicia Vikander). Déjà culte ? Notre critique est à lire ici.

Depuis, le réalisateur a signé Annihilation, diffusé sur Netflix et également acclamé par la critique, Men, un thriller post-#MeToo malin, ainsi que Dev, une série s'intéressant encore une fois aux nouvelles technologies. Alors qu'Arte programme Ex_Machina en deuxième partie de soirée (rendez-vous à 22h50, après La Dernière marche, de Tim Robbins), nous republions notre entretien avec le réalisateur.

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Alex, passer à la réalisation après quinze années en tant que scénariste, c’était votre ambition ?
Absolument pas. Bosser dans l’industrie ciné m’a fait comprendre une chose : que l’importance accordée aux réalisateurs dans les commentaires sur le cinéma est totalement disproportionnée. Un film est le fruit d’un processus collaboratif. Et puis je reste persuadé que la pièce maîtresse de l’édifice est le scénario. « De quoi parle ce film ? » « Pourquoi les personnages agissent-ils de telle ou telle façon ? » Les réponses à ces questions sont TOUJOURS dans le script. Moi, je me considère comme un filmmaker. J’écris, mais avec des images. Dans cette optique, engager un autre réalisateur que moi pour mettre en scène Ex_Machina aurait été une perte de temps et d’argent.

Justement… Sur un « petit » film comme Ex_Machina, est-ce le budget qui détermine l’intrigue ou l’intrigue qui détermine le budget ?
Je place la liberté créative au-dessus de tout. Et l’argent est le facteur déterminant de cette liberté. Sur Sunshine (Danny Boyle, 2007), on avait trop de pognon, ça a entraîné beaucoup de désaccords entre nous. En réalisant Ex_Machina moi-même, je faisais des économies que je pouvais ensuite réinjecter ailleurs. Dans les effets spéciaux par exemple. Ainsi, j’achetais ma liberté. Et quand, parfois, j’ai une idée qui nécessite énormément d’argent, et bien… je fais en sorte de l’oublier dans la seconde ! Ah ah !

Ex_Machina s’inscrit dans cette vogue de films sur l’intelligence artificielle…
Oui, c’est l’embouteillage, n’est-ce pas ? Chappie, Les Nouveaux Héros, Avengers 2Transcendance, le nouveau TerminatorHer… C’est dans le zeitgeist. Mais à mon avis, ces films ne sont pas directement liés au thème de l’intelligence artificielle, pour la simple et bonne raison qu’il n’y a pas eu d’avancée scientifique majeure dans le domaine depuis trois ans. Ils traduisent autre chose : notre peur des nouvelles technologies. De ces réseaux sociaux qui contrôlent nos vies. On ne sait rien d’eux. Mais eux savent tout de nous…

Ex Machina
Universal

C’est avec cette idée en tête que vous avez conçu Nathan, le personnage d’Oscar Isaac dans le film ? Un entrepreneur rock star, quelque part entre Mark Zuckerberg et Steve Jobs ?
Je n’avais personne de précis en tête. En réalité, je ne voulais pas que Nathan soit la caricature du PDG d’une de ces grosses « tech companies », mais plutôt qu’il incarne l’entreprise elle-même. C’est pour ça qu’il se donne autant de mal pour avoir l’air cool. Il est ce hipster barbu dont on aimerait tant être l’ami. Ces boîtes fonctionnent toutes comme ça, sur ton désir de faire partie de la bande, de rejoindre le cercle des initiés. C’est le monde que vend Apple. Or, si tu y réfléchis deux secondes, tu réalises que tu ferais peut-être bien de te méfier de ce hipster barbu…

Oscar Isaac est la grosse attraction du film. Son look – le crâne rasé, les lunettes, la barbe – ça vient de lui ou de vous ?
Un peu des deux. La barbe, j’y tenais. Les lunettes, c’est son idée. Quand je vous dis que le cinéma est un médium collaboratif…

Le film s’inscrit dans une tradition de SF très féconde qui va d’Asimov à Mamoru Oshii en passant par Blade Runner. Mais si je vous dis que j’ai surtout pensé à Roman Polanski devant le film…
Ça me va très bien. Polanski fait un truc que j’adore, en particulier dans Rosemary’s Baby : tu regardes le film en pensant que les personnages sont en train de partir en vrilles paranoïaques, alors que non, pas du tout. Ce que tu imagines qu’il se passe est réellement en train de se passer, là, sous tes yeux. J’ai appliqué exactement le même principe dans Ex_Machina

C’est l’un des rares films de SF dont on sort en disant : « Wahou, j’adore la scène de danse »…
Ah ah, oui, peut-être bien ! Je cherchais un moyen vraiment original de montrer un type en train d’en intimider un autre. Et soudain, j’ai compris que ce dont j’avais besoin, c’était d’un gros beat disco…

Ex_Machina est minimaliste mais incroyablement dense. Un petit film plein comme un œuf. On n’en voit plus beaucoup des comme ça…
C’est ce que j’appelle un « film à idées ». An idea movie. Tu sors de la salle en ayant envie de parler du sujet, pas de l’intrigue. Le modèle absolu dans le genre, c’est Orange Mécanique. Il y aussi tous ces films de SF des années 60-70 que j’adorais gamin : La Planète des Singes, Soleil Vert, L’Age de cristal… Ils n’avaient pas peur de parler des problématiques politiques ou sociales de l’époque. Au contraire : ils s’en emparaient à bras le corps. J’adorais ça. Où sont passés les « idea movies » ?
Interview Frédéric Foubert

Bande-annonce d'Ex_Machina d'Alex Garland avec Oscar Isaac, Alicia Vikander et Domhnall Gleeson :


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