Les Feuilles Mortes
Sputnik

Fidèle à son style poético-burlesque, le cinéaste finlandais signe un beau mélo récompensé par le Prix du Jury au Festival de Cannes.

Le cinéma chaplinesque du finlandais ne bouge pas. Le monde peut bien s’exciter, les guerres peuvent éclater, les néons vintages d’Helsinki continuent d’éclairer la nuit. Un univers en formica et bakélite qui se moque du temps présent, un univers où les téléphones portables existent peu, où les cinémas de quartier exhibent des vieilles affiches de Fu Manchu, Godard et Bresson, où le rock déglingué côtoie des bluettes... Et pourtant, dans ces Feuilles mortes, les nouvelles d’une Ukraine bombardée sortent des transistors et les chansons qui tentent de les recouvrir sur le canal voisin expriment une même déchirure. Quand tout est triste à pleurer, l’amour peut nous sauver. Aki Kaursimäki y croit.

Voici donc un mélo. Deux âmes en peine et silencieuses - une caissière de supermarché solitaire et un ouvrier alcoolique, se croisent dans un bar karaoké. C’est le coup de foudre. Le destin n’est pas tendre. Entre licenciements à répétition, accidents et coups du sort, la vie, comme dans la chanson de Prévert et Kosma qui donne son titre au film « sépare ceux qui s’aiment...» On a déjà vu ça chez Kaurismäki, en beaucoup plus inspiré (L’Homme sans passé, Les lumières du faubourg...)  et plus tragique (La jeune fille aux allumettes....)

Si son cinéma ne bouge, Aki non plus. Sur les marches aussi rouges que ses yeux déjà embués, le cinéaste de 66 ans, est toujours ce molosse au cœur tendre qui cache sa timidité par des ruses burlesques. Aki ressemble en cela à ses personnages, êtres sauvages et discrets, peu à l’aise dans un réel qui impose du conformisme. Il faut donc recréer un cadre strict où évoluer sans subir les aléas du dehors. La mise en scène volontairement statique doit sa tension aux corps qui l’habitent cherchant maladroitement un point d’appui. C’est bien Chaplin qu’on ressuscite. Il a ici l’apparence d’un chien perdu sans collier, portant le célèbre patronyme. Aki serait bien plus à l’aise avec une Palme Dog qu’une Palme d’or.

D’Aki Kaurismaki. Avec Jussi Vatanen, Alma Pöysti... Durée : 1h21. Sortie le 20 septembre 2023.