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En 2013, Jia Zhangke présentait à Cannes A touch of sin, sorte de manifeste esthétique qui marquait un virage dans la carrière de ce documentariste de formation, jusqu’alors moins intéressé par la mécanique de la fiction que par la captation docufictionnée d’une Chine en pleine mutation. Pour beaucoup (dont nous, à Première), cette évolution agissait comme une déflagration : Jia Zhangke nous parlait enfin.Deux ans plus tard, le cinéaste chinois revient avec une œuvre en apparence moins complexe que A touch of sin, qui procédait par recoupements narratifs et thématiques. En trois segments échelonnés dans le temps, il raconte le destin tragique de Tao : jeune femme d’abord insouciante, elle est partagée entre deux hommes, le riche et le pauvre ; elle paie ensuite le prix fort de son choix (la perte de la garde de son fils qu’elle ne verra pratiquement pas) ; son enfant, devenu adulte et exilé en Australie, reviendra-t-il vers elle ?Du soap littéral au mélo flamboyantMountains may depart est un film étrange, qui commence comme un film de propagande soviétique neuneu sur la chanson « Go West » des Pet Shop Boys, façon ironique pour Jia Zhangke de dire que l’occidentalisation de la Chine est un mirage aux effets pervers. On le vérifie aussitôt avec l’héroïne, très proche du pauvre Lianzi et ébranlée par le retour du flamboyant Zhang qui lui retourne la tête. Elle choisit les dollars promis par ce dernier à une vie de labeur aux côtés du premier. Son fils est prénommé Dollar. Bonjour la subtilité… Ca continue avec un divorce à sens unique, qui se solde par le retour au pays en solitaire de cette pauvre Tao, décidément peu en veine puisque Lianzi, marié et papa, se meurt d’un cancer des poumons consécutif à son métier de mineur. La porte de la salle n’est pas loin, on hésite à sortir.Puis, le film bascule lors des retrouvailles de Tao avec son fils de sept ans à l’occasion de l’enterrement du grand-père maternel. L’histoire devient alors celle de Dollar, gosse un peu triste qui a du mal à appeler « maman » cette étrangère aux nerfs fragiles. Le dispositif mis en place par Zhangke dévoile ses vraies intentions : il ne s’agit pas de faire le procès du capitalisme, mais une parabole sur la Chine d’aujourd’hui à travers le regard que porte Dollar, fruit de la mondialisation, sur Tao, pur produit local. Zhangke déplore la désagrégation des valeurs, le désamour national, le deuil des idéaux. Dans le dernier segment, admirable, situé dans un futur proche, il raconte l’exil, le malaise existentiel qui en découle, le manque de repères sur lequel il se construit. Dollar est grand, il ne sait plus qui il est. Une rencontre et son destin bascule. Ou pas. Pendant ce temps, Tao attend. Et nous, on retient notre souffle jusqu’au dernier plan, merveilleux.Christophe NarbonneMountains May Depart de Jia Zhangke avec Zhao Toa, Zhang Yi, Dong Jin Liang est présenté en compétition à Cannes et sortira le 9 décembre 2015 dans les salles françaises