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L'ancien James Bond revient dans The November Man. Rencontre.

J’adore votre accent irlandais dans The November Man, mais pour un agent de la CiA, c’est un peu étrange, non ? C’est exactement ce que j’ai dit à Roger Donaldson à la fin de la préparation. On a travaillé plus de cinq ans sur ce film, il y a eu plusieurs versions du script avec de longues sessions de répétitions et je me souviens avoir dit à Roger : « Il faudrait que je me débarrasse de mon accent irlandais, non ? », avant qu’on comprenne tous les deux que ça n’était pas le problème. Ce qui compte, c’est moi. Le principe de The November Man, c’est Pierce Brosnan enfin de retour dans un film d’espionnage. Venu finir ce qu’il avait laissé en plan.

Ca rejoint ce que vous avez souvent dit à propos de Bond, que cette affaire n’était pas réglée. Qu’entendez-vous exactement ? La manière dont le rideau est tombé sur mon aventure bondienne était... inattendue. J’avais signé pour quatre films et, à la fin de Meurs un autre jour (Lee Tamahori, 2002), Barbara (Broccoli) et Michael (G. Wilson) m’en ont proposé un cinquième. Les négociations ont commencé, c’était presque signé... J’étais aux Bahamas sur le tournage de Coup d’éclat (Brett Ratner, 2005) et j’allais tourner une scène avec Salma Hayek quand mon téléphone a sonné. Mon agent m’a annoncé : « Pierce, le deal est annulé. » Je lui ai demandé ce que ça voulait dire et il m’a répondu : « Les Broccoli ne savent pas vraiment ce qu’ils veulent. Ils te rappellent jeudi prochain. » J’étais avec mon assistant, qui me suivait depuis des années sur les tournages des Bond, et je lui ai dit que la belle vie était peut-être finie, qu’on ne repartirait pas forcément tout de suite en voyage. J’étais anxieux, mais il a fallu que j’attende une semaine jusqu’à ce coup de fil, un jeudi à 17 h 30. Au téléphone : Barbara et Michael. C’est surtout Michael qui a parlé et qui m’a expliqué : « On a décidé de repenser le personnage. On va le rajeunir, on ne sait pas trop comment. C’est fini, Pierce. Merci. » « Merci. » Comme ça. « Merci. » J’ai raccroché. C’était effectivement fini. C’est un coup au plexus, un truc qui te coupe la respiration. C’est une douleur inouïe, un trauma qui laisse un vide immense.

Vous n’aviez pas peur de faire votre Dangereusement vôtre (John Glen, 1985, avec Roger Moore) ? Le fameux Bond de trop ? Honnêtement, j’avais encore un peu de réserves et des choses à dire. Je voulais explorer encore un peu le genre dans lequel j’avais mis tant d’énergie et de passion.

Vous en voulez aux Broccoli ? On vous a peu vu pour les 50 ans de la saga. Roger Moore a fait tout le service après-vente... Je vous trouve dur. J’ai fait ma part du job. Pour moi, c’est réglé maintenant. Nous sommes de nouveau en bons termes, c’est de l’histoire ancienne. Business is business.

L’expression « une affaire pas réglée » me fait aussi penser à certains de vos films qui se construisent comme une filmo alternative aux Bond. Tous ces films où vous essayiez d’approfondir le personnage ou de jouer avec, mais en dehors de la saga. C’est intéressant. Vous pensez à quoi ?

Thomas Crown (John McTiernan, 1999), d’une certaine façon, The Matador (Richard Shepard, 2005), mais surtout Le Tailleur de Panama (John Boorman, 2001), l’un de vos meilleurs rôles, qui ne se comprend que par rapport au personnage du Commander. Il y a un peu de ça. J’ai toujours pensé que j’étais coincé dans mon travail sur Bond, qu’il y avait trop de contraintes et que les producteurs comme les scénaristes ne voulaient pas assez faire évoluer les choses. Parfois je jouais une scène et j’avais le sentiment que les gens me regardaient en se demandant : « Comment Roger l’aurait joué ? » ou : « Sean n’aurait pas tout à fait eu le même geste. » Je me suis senti un peu bridé par les histoires qui couraient toujours après les scripts de la grande époque.

C’est ce que vous vouliez dire quand vous disiez que vous aviez le sentiment de jouer dans des films d’époque ? Je suis allé jusque-là ? (Rire.) Il y a un peu de ça. C’était un truc d’écriture : les scénaristes écrivaient de manière automatique, dans une langue ou une logique dépassées. Parfois j’avais l’impression de jouer Roger Moore qui imitait George Lazenby qui imitait Sean Connery... Les fantômes de Roger et de Sean étaient là, je les voyais.

D’où The Matador ou Le Tailleur... qui s’intercalaient entre deux aventures de 007 ?Quand on m’a proposé Le Tailleur de Panama, je me suis dit que c’était peut-être un bon moyen de faire ce que je n’arrivais pas à faire avec Bond. De jouer dans la même veine, d’utiliser le même langage tout en proposant quelque chose de différent, de plus humain. Juxtaposé à Bond, ça faisait sens.

C’était prémédité ? Oui. Enfin, non. Enfin, j’aimerais le croire. (Rire.) Je vous le raconte comme si c’était effectivement un choix de carrière, mais ma rencontre avec John Boorman ne s’est pas passée comme ça. Lorsqu’il m’a dit qu’il voulait que je joue dans Le Tailleur..., j’ai immédiatement pensé que ce serait super de me travestir, d’avoir un faux nez et de porter des postiches, jusqu’à ce qu’il m’arrête : « Vous n’avez pas compris. Je ne pensais pas à vous pour le rôle du tailleur, j’aimerais que vous soyez l’espion. » Ca m’a coupé le souffle. Là, je prenais vraiment un risque. Ca m’emmenait sur un terrain miné... En même temps, ça m’excitait pour toutes les raisons que je viens d’évoquer.

C’est venu juste après votre premier Bond, GoldenEye (Martin Campbell, 1995), qui était précisément une réinvention de la mythologie... J’ai une longue histoire avec Bond (Brosnan a été marié à une ancienne Bond girl et a failli être casté pour le rôle en 1986). Peut-être que ce passif m’avait déjà façonné. Peut-être...

Vous parlez de lui de manière très ambivalente. Vous n’avez jamais cherché à vous en échapper, comme le prouve The November Man. Mais c’est parce que ce personnage a été une bénédiction pour moi. Ce rôle m’a amené au centre de la scène, ça m’a permis d’être bankable, m’a propulsé sur le marché international, m’a offert d’autres rôles et m’a offert de rejoindre une industrie que j’adore. Ca m’a nourri. J’adorais jouer, j’adorais être acteur, mais Bond m’a transformé en movie star, mon rêve le plus fou. Si vous êtes là aujourd’hui, j’ai l’impression que c’est moins pour The November Man que parce que vous voulez me parler de 007, parce que vous en êtes fan. Quand vous jouez ce rôle, vous devenez l’ambassadeur d’un tout petit pays. À vie. J’étais fan de James Bond moi aussi, je vous parle en connaissance de cause.

Vraiment ? C’est mon tout premier souvenir de cinéma. J’ai 11 ans, ma famille quitte la campagne irlandaise pour aller à Londres, et le premier long métrage que je vois en Angleterre, c’est Goldfinger (Guy Hamilton, 1965). Le Technicolor, la musique de Monty Norman, ce Chinois qui lance son chapeau, les voitures, les femmes nues – bon, elles n’étaient pas nues à strictement parler, mais pour l’enfant que j’étais, c’était incroyable... C’est un moment décisif de ma vie, un moment qui fonde mon rapport au cinéma. J’ai passé mon enfance dans les salles de cinéma. Warren Beatty, Faye Dunaway, Clint Eastwood, Steve McQueen... C’était ça que je voulais faire. J’étais obsédé par les films, les stars, et Bond... La seule question que je me posais à l’époque, c’était : comment devient-on une movie star ?

Cette obsession est intéressante parce que j’ai toujours eu l’impression que votre image, celle du séducteur plein de charme et d’assurance, résistait à tout. Que vous pouviez jouer Robinson Crusoé, des scientifiques débiles ou même un Indien sans abîmer votre statut. Je prends ça comme un compliment parce que c’est toujours ce que j’ai voulu faire. Jouer. Tout. Partout. Mais en restant fidèle à ce que je suis.

Ca me fait penser à Cary Grant... Ca me flatte car c’était mon modèle. Quand je suis arrivé sur la série Les Enquêtes de Remington Steele, je n’avais aucune idée du personnage, je ne savais pas comment le jouer. Mais j’ai pensé à Cary Grant. Adolescent, j’adorais sa classe, son aisance, son tempo, la manière dont il portait le costume. Il avait l’une des meilleures techniques de Hollywood, mais il faisait passer ça avec une facilité déconcertante... Je voulais être aussi bon, aussi fluide que lui. Sortir la bonne phrase au bon moment, quitter la scène et ne pas trébucher sur les meubles. C’était ça mon rêve, être Cary Grant.

La différence, c’est que lui a fait quelques chefs-d’œuvre. Il y a des films que j’aime beaucoup dans ma filmographie : Seraphim Fall (David Von Ancken, 2006), Thomas Crown...

Pardon de vous couper, mais vous avez vu John McTiernan ? Il est à Deauville. Il y avait un hommage... Non. John est là ? Wow... C’est quelqu’un de très complexe. Un type que j’adore, mais c’est un taciturne, un homme mélancolique et très sombre qui s’emporte facilement. Doublé d’un vrai génie. J’adore Nomads (1986). Quand j’ai joué dans ce film, j’étais persuadé que ce serait mon ticket d’entrée pour la célébrité. J’étais sûr que, après ça, j’allais devenir une star.

Raté. Oui. (Rire.) Mais le script était extraordinaire. On note souvent que John est un réalisateur exceptionnel, mais moins fréquemment qu’il est aussi un scénariste extrêmement doué. Je pensais vraiment que ce film marquerait le cinéma. Ca n’a pas marché et nos routes se sont séparées.

Jusqu’à ce que, en tant que producteur, vous lui proposiez Thomas Crown. Pourquoi lui ? Parce que j’adorais ses films. C’est un grand technicien et je lui faisais une confiance absolue. On se connaissait bien. Je savais aussi qu’il saurait ce que j’avais en tête et, plus que tout, je voulais que vraiment que John fasse une romance parce que derrière son côté très macho, dur à cuire, c’est un romantique.

Visuellement, le film est extraordinaire, mais vous voir dans le rôle de Steve McQueen, c’était étrange... C’était mon héros. The King of Cool.

Oui, mais en jean et T-shirt ! Je n’aime pas le film de Jewison parce que McQueen ne sait pas porter le trois pièce, alors que personne ne vous égale sur ce terrain-là. C’est vrai que ma spécialité, c’est le « suit acting ». Et je suis d’accord avec vous concernant McQueen. Ca m’a toujours gêné dans ce film. On en revient à Cary Grant. Lui portait le costume à la perfection. David Niven aussi. Mais Steve, c’est vrai que...

Et le rapport aux femmes de McQueen, sa séduction n’ont rien à voir avec les vôtres. C’est peut-être le moment de parler de la sexualité de vos personnages ? Ha ha ha ! (Il aperçoit l’attachée de presse.) On va parler sexe, tu veux venir m’aider ? (L’attachée de presse s’esquive.) Hmmm. (Silence un peu gêné.) Ca veut dire quoi ?

Ca vous ennuie ? Hmmm. Non, pas du tout.

McQueen garde toujours l’ascendant. Il est brutal, sauvage, violent, alors que j’ai toujours trouvé que vous aviez un rapport plus passif avec les femmes. C’était souvent elles qui menaient la danse. Je ne l’ai jamais vu comme ça.

Les femmes vous dominent souvent dans les films, surtout dans les Bond. (Longue pause.) Je ne peux pas l’expliquer... (Très longue pause.) Yeah... (Il se raidit un peu.) Hmmm. (Il boit une gorgée d’eau minérale.) Hmmmmmmm. (Sourire crispé, puis il fait claquer sa langue contre ses dents.)

Je... Je réfléchis à ce que vous venez de me dire. Disons que mon Bond était plus... romantique. Oui. (Claquement de langue puis un autre sourire.) Hmmmm... Autre chose ?

Euh, oui, les euh... Oui ?

Pardon, mais j’ai l’impression d’avoir dit quelque chose qu’il ne fallait pas... Je suis extrêmement blessé par ce que vous venez de dire en fait.

Ce n’était franchement pas le but. C’était juste un avis sur votre personnalisation de James bond, sur votre masculinité... Je voulais dire que vous n’aviez pas la virilité plutôt agressive d’un Sean Connery, par exemple. Hmmmm... Ca m’a... (Longue pause.)

Je ne voulais pas être insultant. Pourtant, c’est blessant. On peut être macho, ou disons masculin, sans être arrogant, sans être la caricature du dur à cuire. C’est une question de subtilité. Avec 007, je ne voulais pas... (Très longue pause.) C’est bon. Je crois que vous avez tout pour votre interview.

Interview Gaël Golhen

The November Man de Roger Donaldson avec Pierce Brosnan, Olga Kurylenko et Luke Bracey sort demain dans les salles.