Ecrit et réalisé par l'ex-policier Franck Mancuso, R.I.F. s’inscrit dans la nouvelle veine des polars français conçus par d’anciens flics. Qu’est-ce que ça change ? Réponse avec l'intéressé.Comme Olivier Marchal (avec qui il a écrit le scénario de 36, Quai des Orfèvres), Franck Mancuso a exercé le métier de policier avant de passer au cinéma. Déjà réalisateur de Contre-enquête en 2006, il raconte dans R.I.F. l'enquête d’un capitaine de police (Yvan Attal) lancé à la recherche de sa femme disparue sur la route des vacances. Le cinéaste nous explique pour l'occasion ses méthodes de travail.R.I.F. s’inspire d’un fait réel et refuse les artifices. D’où vous vient cette volonté de réalisme? Ce n’est pas une volonté, c’est une obligation. J’ai travaillé 20 ans dans la police, et si jamais je me mettais à raconter des conneries je me ferais coincer dans une salle obscure par mes anciens collègues. Quand j’écris un scénario, je n’ai pas besoin d’inventer, il suffit de me souvenir d’affaires auxquelles j’ai moi-même participé ou dont j’ai entendu parler. Je ne fais appel qu’à ma mémoire. Il y a en effet un vieux débat qui oppose la fiction à la vraisemblance : moi je pense qu’on peut faire les deux mais que, pour un polar, des situations authentiques offrent toujours de meilleurs points de départ que des situations inventées.Le film confronte les méthodes d’un policier parisien à celles d’un gendarme de Lozère. Vous avez donc connu des situations semblables ?Quand je bossais à l’Office Central de répression du banditisme, ou à la division antiterroriste, il m’est souvent arrivé d’aller avec mes collègues parisiens dans le trou du cul de la France pour enquêter sur des islamistes qui s’étaient planqués ou sur des mecs de l’E.T.A. J’étais parfois confronté à des policiers et parfois à des gendarmes. Sans aller jusqu’à dire que les policiers sont meilleurs que les gendarmes, il y a quelque chose qui continue à être vrai aujourd’hui : pour qu’il y ait une police dans une ville, il faut un certain nombre d’habitants. Par conséquent, un policier qui travaille sur des enquêtes criminelles en milieu urbain va être plus souvent sollicité, donc plus aguerri, donc plus compétent. Le gendarme qui se trouve au fin fond de la Lozère, avec moins de 10 habitants au kilomètre carré, n’a pas l’habitude des braquages, du trafic international de stupéfiants, ni des disparitions. Je n’ai pas voulu raconter que le policier était meilleur que le gendarme, j’ai juste mis en situation un policier qui est touché personnellement par la disparition de sa femme, et un gendarme qui n’a jamais travaillé sur ce cas-là et qui fait appel à ses connaissances procédurales. On a naturellement là deux techniques d’investigation différentes.Et ces techniques d’investigation ont-elles changé depuis que vous n’êtes plus dans la police ?Je m’appuie sur mon vécu d’ancien policier, mais les techniques décrites ici seraient exactement les mêmes aujourd’hui. Bon, si ma femme venait à disparaître en Lozère, ce serait un peu différent car il se trouve que je suis copain avec le directeur de la police nationale, avec qui j’ai bossé au quai des Orfèvres dans les années 1980. Si quelque chose comme ça m’arrivait, je décrocherais mon téléphone et il déclencherait le plan Orsec, ce que ne peut pas faire mon flic dans R.I.F. Si le personnage de Stéphane Monnereau avait été pote avec le patron de la police, le film se serait fini en un quart d’heure. Lui c’est juste un bon poulet lambda, qui se retrouve avec ses seules compétences.En définitive, un bon polar doit-il forcément être réaliste ?Quand j’étais policier, je ne pensais pas encore être réalisateur ou scénariste, mais ça m’emmerdait de voir des flics français qui avaient l’air de truffes à la télé. Surtout que partout ailleurs, que ce soit en Angleterre, aux Etats-Unis ou en Italie, on faisait des séries télé avec des flics qui se comportaient mieux. J’ai ensuite rencontré Yves Rénier par un total hasard, et quand il m’a proposé de me mêler des scénarios du Commissaire Moulin et de venir sur les plateaux pour montrer aux acteurs comment se comporter, mon ambition était simplement de rectifier le tir. Ensuite, quand on est confronté au monde de la télé, ça devient vite prenant. Et il y a plein de gens en France qui font du polar vraisemblable quand ils s’y mettent, je pense à Police de Maurice Pialat, à L.627 de Bertrand Tavernier, à Scènes de crimes de Frédéric Schoendoerffer ou au récent A Bout portant, de Fred Cavayé. Même Les Ripoux, qui est une excellente comédie de Claude Zidi, c’est à 90% vrai. Et il reste ensuite 10 à 15% pour faire de la  fiction. Moi, j’ai par exemple inventé la fin de R.I.F car cette histoire n’était pas arrivée à un vrai policier. Aujourd’hui on n’a plus le choix : on est tellement abreuvé de films et de séries qui font l’effort de se renseigner que le public sait parfaitement faire la différence entre Sur Ecoute (The Wire en VO) ou un Cordier, juge et flic. A part quelques petits vieux que je connais qui aiment bien Cordier - parce qu’ils aiment bien Pierre Mondy et que c’est nostalgique - les gens qui aiment un peu le polar ne peuvent plus regarder un Julie Lescaut ou un Navarro, c'est  devenu impossible. On est obligé d’être vraisemblable, sinon on se fait jeter son truc à la gueule. On ne peut plus raconter n’importe quoi, et c’est tant mieux.Interview Damien Leblanc