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Comme dans There will be blood, Paul Thomas Anderson gagne la partie dès les premières séquences de The master, qui propulsent le spectateur à une altitude si élevée qu’il lui sera difficile de redescendre. L’utilisation de la pellicule 65mm ne fait qu’augmenter la puissance des images (une vue plongeante sur les eaux malaxées par les hélices d’un bateau), qui révèlent le tumulte intérieur agitant le personnage joué par Joaquin Phoenix. Juste avant la fin de la seconde guerre mondiale, Freddie Quell est un marin sévèrement endommagé par la guerre et l’abstinence. On le découvre en proie à tous les symptomes du manque, sculptant dans le sable une femme idéale, qu’il fait semblant d’honorer devant ses camarades avant d’aller se branler dans l’océan. Maigre, le sourcil chiffonné, l’oeil noir et la bouche déformée par un rictus, Phoenix fait peur, tellement il se confond avec ce personnage imprévisible et violent qui aura sans aucun doute du mal à se réadapter dans le monde normal. L’histoire de Freddie prend une autre dimension lorsqu’il croise, après une série de galères, le chemin de Lancaster Dodd, un gourou qui vend une méthode d’amélioration personnelle basée sur la mémoire. Philip Seymour Hoffman joue le charlatan charismatique (vaguement inspiré de L. Ron Hubbard, l’inventeur de la scientologie), et la rencontre des deux personnages devient le sujet du film: c’est une sorte d’association des contraires, puisque le gourou enseigne une méthode sensée préserver l’homme de l’animalité. Or, c’est exactement la bestialité de Quell qui séduit Dodd. Il y a aussi dans cette relation maître/élève une dimension père/fils, un thème obsessionnel chez Paul Thomas Anderson.

Une fois la machine lancée, le film se nourrit de la synergie générée par les deux acteurs, tous les deux en super forme. On les sent stimulés par leurs rôles, par la direction de PTA, et par la liberté qu’il leur accorde de laisser l’imprévisible arriver. Une des méthodes du charlatan consiste à interroger son patient afin de l’aider à faire remonter à la surface des traumatismes enfouis qui pourraient libérer son esprit. Quelques-uns de ces interrogatoires, menés à un rythme dément, entraînent les deux acteurs dans des performances stupéfiantes. Il y a de l’oscar dans l’air, surtout pour Phoenix, qui semble renaître de ses cendres après des vacances prolongées.

Comme dans There will be blood, la conclusion est frustrante, pas tellement à cause de ce qu’elle dit qu’à cause de l’apparente baisse d’intensité qui l’accompagne.

 

 

 

Après une telle claque, difficile d’enchaîner. A côté, le petit Boxing day de Bernard Rose (dans la selection Orizzonti) a des allures de miniature, renforcée par une image numérique minimaliste. L’histoire suit un Californien (Danny Huston) qui abandonne sa famille le jour de Noël pour entreprendre un mystérieux voyage d’affaires. Il s’avère que l’homme est un spéculateur qui s’apprête à racheter à bas prix des maisons hypothéquées afin de les revendre avec un profit. Sa tournée consiste à aller voir si les maisons sont en état. Pour ce faire, il loue une voiture avec chauffeur, et la tournée dans les montagnes enneigées du Colorado prend une dimension inattendue. Bernard Rose est un auteur assez inégal mais ses réussites (Paper house, Ludwig van B, Mr Nice) donnent toujours envie de le surveiller régulièrement. Boxing day n’est manifestement pas un sommet, même s’il n’est pas si anodin qu’il en a l’air, mais on peut espérer que son prochain, un film d’horreur, sera plus consistant.