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Retour à Cannes pour Cage et Dafoe, après la Palme d’or de Sailor et Lula en 1990. Le duo infernal de Dog Eat Dog avait encore l’énergie de répondre à nos questions après une longue journée d’interviews. 

Quels sont vos souvenirs du tournage de Sailor et Lula, 26 ans après ?
Nicolas Cage : Je me suis éclaté. Je me souviens avoir demandé à David si je pouvais m’amuser sur le film, et il m’a dit : "Nixter (il m’appelait comme ça sur le tournage), bien sûr que tu peux, c’est même nécessaire". C’était un super conseil.

Willem Dafoe : C’était une des expériences les plus faciles de ma carrière. David était génial et Nicolas tenait son personnage comme personne. Je n’ai rien eu à faire, je ne me suis pas préparé, je me sentais libre. C’était un film de genre, avec beaucoup de poésie. 

NC : Tout à fait. Et c’est la première fois que j’ai tenté l’imitation dans ma carrière. Une approche warholienne, comme ses collages. Je me suis dit que je pouvais faire la même chose avec mon jeu. J’ai pu étoffer mon style et j’ai réutilisé l’imitation dans Kick-Ass et ici dans Dog Eat Dog avec Humphrey Bogart. Sailor et Lula est une étape très importante de ma carrière.

WD : L’imitation est la clé pour un acteur. Et en fait on se rend vite compte qu’on ne peut jamais vraiment imiter, qu’il en ressort quelque chose de différent. Mais ça donne une excellente base. Ça offre la possibilité d’aller ailleurs.

J’ai cru comprendre que vous avez échangé vos rôles pour Dog Eat Dog.
NC : Oui, je devais jouer Mad Dog et j’en avais un peu marre de faire encore un personnage hystérique qui parle beaucoup trop. J’ai demandé à jouer Troy et je crois que Paul Schrader voulait Sam Rockwell pour le rôle…

WD : Mauvaise idée !

NC : (Rires) Bref, finalement ça a ouvert la voie à Willem pour Mad Dog. On parlé de Jim Carrey à un moment mais il n’y a pas beaucoup d’acteurs dont je suis vraiment fan, et Willem en fait partie. Je savais que je pouvais faire quelque chose de super avec lui.

WD : Merci mec !

Qu’est-ce qui vous a parlé chez ces personnages de marginaux qui cherchent la rédemption ?
NC : Que ce mec qui a fait de la prison soit un cinéphile et aimerait être une star de cinéma de la grande époque, ça m’a tout de suite parlé. Il fallait que je trouve un truc pour m’accrocher à lui, et c’était ça.

WD : C’est un vrai rôle dramatique en fait. J’ai aimé qu’il y ait de l’action mais en même temps des scènes de dialogues vraiment bien écrites. Le passage où Mad Dog demande la rédemption et le pardon est incroyable. Je me suis focalisé sur le texte, c’était suffisant. 

Willem, vous avez joué des tas de fois avec Paul Schrader. Nicolas, deux fois. Qu’est-ce qui a changé dans sa façon de filmer et dans son cinéma ?
WD : Il n’a pas tant changé. Ses personnages n’ont pas beaucoup bougé avec l’âge. Mais ses centres d’intérêt et son approche du "contenu" sont sûrement différents. Et son commentaire sur le monde et le cinéma a beaucoup évolué. Pas sa façon de filmer cependant. Vous savez, il est assez étrange socialement, c’est un type un peu bizarre. C’est mon ami mais je ne comprends pas pourquoi il ne s’est pas adouci avec les années. Il est souvent dans sa tête, coupé du monde.

Vous avez incarné le Bouffon Vert dans Spider-Man et vous vous apprêtez à jouer dans Justice League. Nic, vous étiez Ghost Rider et avez failli devenir Superman pour Tim Burton. Quel est votre point de vue sur les films de super-héros aujourd’hui ?
WD : Je ne peux vraiment pas parler de mon rôle dans Justice League. J’ai peur de trop en dire si je vous révèle qui je suis et ce que j’y fais. 

Vous jouez un gentil ?
WD : C’est perturbant de mettre des étiquettes sur les gens, mais en gros oui. Enfin… Mon personnage n’est pas un méchant. C’est plus que je n’en ai jamais dit, je ne peux pas aller plus loin !

NC : Il n’a même pas voulu me dire qui il joue ! J’aime ce qui se passe avec les films de comics en ce moment. Surtout chez Marvel, j’ai trouvé Le Soldat de l’hiver très efficace, j’ai aimé Civil War et je l’avoue, j’ai même aimé Batman v Superman. Ben Affleck était super en Batman et les méchants étaient à la hauteur. Je crois que les films de comics se portent plutôt bien.

WD : À un moment le ton de ces films va changer. Je ne sais pas quand mais ça arrivera forcément. En attendant, il y a un vrai intérêt du public et leur succès porte l’industrie du cinéma hollywoodien.

NC : Robert Downey Jr a fait beaucoup pour le genre, avec son interprétation d’Iron Man. Il a vraiment apporté quelque chose de fort au personage et ça continue. Il a lancé la machine en quelque sorte. 

Vous aimeriez revenir aux adaptations de comics ?
NC : Peut-être que dans un monde parallèle Marvel voudrait Ghost Rider dans les Avengers, mais je n’y crois pas beaucoup !

Je voulais dire pour jouer un autre personnage. 
NC : Oui, je suis ouvert à tout ! Ces films sont vraiment marrants à tourner.

C’est vrai que vous vous êtes fait piquer un exemplaire d’Action Comics 1 (la première apparition de Superman), qu'il a disparu durant des années, a été dernièrement retrouvé et que vous l’avez revendu aux enchères ?
NC : Malheureusement oui, tout est vrai. C’est le meilleur investissement de ma vie. Si j’avais encore ma collection, je ne peux même pas vous dire ce qu’elle vaudrait. J’ai acheté ce comic book pour 135 000 dollars et je l’ai revendu 2,7 millions de dollars. Et je n’avais pas envie de m’en séparer mais je n’avais pas le choix. Ils l’ont retrouvé mais pas le voleur qui me l’avait pris toutes ces années. Son retour est arrivé au bon moment financièrement parlant, même si j’aurais aimé le garder pour ma famille, parce que sa cote continue de grimper. Par contre mon Detective Comics 27 (NDLR : la première apparition de Batman) est toujours dans la nature.

Si je vous dis que vous êtes des légendes, ça vous évoque quoi ?
NC : Je ne sais pas si je suis une légende. Je suis juste content de continuer de travailler avec des gens que j’admire, c’est l’essentiel. Il y a longtemps j’étais bon pote avec Charlie Sheen, on regardait souvent des films dans sa maison de Malibu. Un jour Martin Sheen était là et on discutait de nos carrières respectives. Il m’a dit que le seul truc qui compte, c’est l’endroit où on travaille et les gens avec qui on travaille. Je n’y croyais pas trop, j’étais focalisé sur la performance. Mais plus j’avance dans ma carrière, plus je trouve qu’il a raison.

WD : Quand j’étais plus jeune, je me disais qu’un mauvais choix de film allait détruire ma carrière. Maintenant je me sens mieux vis-à-vis de ça. J’ai un gros avantage : l’éventail des rôles qu’on m’offre s’est étoffé avec l’âge. Pour certains je suis un petit vieux, pour d’autres je peux encore botter des culs, pour d’autres je suis un méchant… Et j’en suis ravi, ça m’évite d’être bloqué dans un registre. La vérité, c’est que ce métier me fait encore bander. Je sais que c’est pareil pour Nic. Ce n’est pas le cas pour tout le monde, croyez-moi. Je suis encore comme un gamin quand je suis sur un plateau, j’ai le feu sacré.

Interview François Léger

Photo Sébastien Vincent (www.sebastienvincent.com et sur Instagram)