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Elle est une grande figure du théâtre. C’est avec bonheur qu’on la retrouve dans La Mère, une pièce de Florian Zeller.Propos recueillis par M-Céline NivièreNous déjeunons au restaurant Les Comédiens, à deux pas du théâtre de Paris, où elle répète. Si j’étais impressionnée au début par tout ce qu’elle représente théâtralement, j’ai vite été enchantée par la femme, épanouie et passionnante. Ma première question porte sur son arrivée dans un théâtre privé. Elle part dans un grand éclat de rire : « C’est un retour ! J’y ai joué pendant cinq ans avant d’entrer à la Comédie-Française. Je suis passée au théâtre des Bouffes Parisiens, à la Michodière, à Edouard VII, pas des moindres, et avec Jean Poiret, Michel Serrault, on peut dire que j’ai appris mon métier avec ces gens-là. Donc le privé, je connais, ce n’est pas une première, mais c’était il y a quarante ans. »Quarante années qu’elle a passées à la Comédie-Française. Après la disparition tragique de Christine Fersen, elle s’est retrouvée au poste de doyen. « Je n’ai pas le sentiment d’avoir failli à ma tâche » explique-t-elle. Malgré l’opposition de Muriel Mayette, l’administrateur, le comité a voté son exclusion. Nous avons été nombreux à être surpris par la violence de cette décision brutale et inattendue. « Le public m’a beaucoup aidée à passer cette épreuve. J’ai reçu énormément de courrier. Un monsieur en prison m’a écrit une lettre très émouvante. J’ai trouvé cela formidable… Tous ces témoignages du public, des gens du métier, des journalistes m’ont réchauffé le cœur. Ce qui m’arrivait ne laissait pas indifférent. Lorsque l’on appartient à une troupe permanente, on a du mal à mesurer la place que l’on a dans la profession. Après mon départ forcé, les propositions sont arrivées assez vite. Et cela aussi a été réconfortant. »Parmi ces propositions, il y avait celle de cet auteur très talentueux, Florian Zeller. « Il m’a envoyé ce texte de la part de Sébastien Thiery, qui a été un de mes élèves au Conservatoire. J’ai vite donné mon accord après la lecture du texte. Puis, nous avons cherché à qui confier la mise en scène. J’ai pensé à Marcial Di Fonzo Bo avec lequel j’avais travaillé sur Les Métamorphoses d’Ovide adaptées par Minyana. Marcial est un grand acteur et un grand metteur en scène. Son univers allait avec le côté farce noire de la pièce. J’ai été surprise de voir comment tout s’est ensuite enchaîné avec facilité. Cela aussi m’a bien réchauffé le cœur. Je pensais que cela prendrait du temps. J’ai eu le privilège de faire le métier que j’aime et d’en vivre, mais je sais aussi que pour cela il faut travailler. C’est la passion et le doute qui font avancer ! »La Mère est le titre de la pièce, un personnage essentiel à nos vies. « La mère, cela fait partie des grands thèmes au théâtre. Un thème fort, comme l’amour, la mort, le pouvoir… La mère, c’est l’univers de tous les possibles, du monstre à la sainte. La pièce de Zeller a une construction troublante et originale. J’aime le principe de la même scène présentée deux fois, une version où le conscient parle et dans l’autre où c’est l’inconscient. Ce qui évite tous les pièges de la psychologie primaire. C’est une mère, c’est une femme qui a élevé ses enfants, tenu sa maison. Et un jour, les enfants sont partis, le mari travaille, et elle se retrouve seule. Elle n’a plus de prise. Elle a perdu son territoire. L’animal femelle vieillissant est pathétique. Il est difficile de vieillir pour les femmes, car on ne nous pardonne rien. »Elle a réalisé la saison dernière, une magnifique mise en scène de L’Avare à la Comédie-Française. Ce grand succès est de nouveau à l’affiche. « Cette pièce, c’est mon travail, ma responsabilité, et j’en suis fière. Comme il y avait quelques changements de rôles, je suis revenue au Français pour cette reprise. Mais il y a toujours Denis Podalydès. S’il n’avait pas été là j’aurais dit non. Sans lui je n’aurais pas monté cette pièce. C’est merveilleux de travailler avec lui, avec des grands acteurs, comme Marcial Di Fonzo Bo. Pour jouer les personnages de Molière, il faut une certaine démesure, car tout part du clinique. Le Bourgeois, Tartuffe, Le Malade, ce sont tous des fous, des monstres, et quand ces pièces se terminent, on se rend compte que leur folie reste intacte. Harapagon a plutôt eu une bonne journée. Sa fille et son fils se marient sans qu’il lui en coûte un sou. Il aura même un costume offert pour les noces et c’est Anselme qui règle les frais du commissaire ! Il n’y a pas de morale chez Molière et c’est ça qui est grand et terrible chez lui. »L’entretien se termine et nous voilà devisant sur la vie. Des téléphones portables qui envahissent notre quotidien, des gens qu’elle observe dans les transports, véritable vivier d’inspiration... Le thème du spectacle s’y prêtant, elle parle de sa fille, de ses petits-enfants. Etre mère, avoir accompagné sa fille dans la vie est une de ses plus grandes joies et fiertés. « Voyez-vous, je n’aurais pas pu concevoir la vie sans la concevoir. » Nous devons nous quitter, Marcial Di Fonzo Bo lui fait signe qu’ils doivent reprendre les répétitions.La Mère au Petit Théâtre de ParisL'Avare à la Comédie-Française