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Hervé Pierre, sociétaire de la Comédie-Française, est magnifique dans le rôle de Bois d’Enghien, dans Un Fil à la patte de Georges Feydeau, mis en scène par Jérôme Deschamps.Propos recueillis par M-C. NivièreCela a dû vous surprendre que Jérôme Deschamps pense à vous pour ce rôle ?C’est un personnage fort improbable pour moi ! Avec mon physique, on ne peut pas me considérer comme un grand séducteur. Oui, j’ai été très surpris quand Jérôme m’a proposé ce rôle. Une fois cet effet passé, j’ai trouvé que c’était un challenge. Le personnage me plaît beaucoup, car il n’est pas drôle. Et interpréter un personnage pas drôle dans une pièce qui l’est, est quelque chose qui me réjouit. C’est un coureur de dot, un pleutre, un être veule d’un égoïsme effrayant.Cela donne un autre relief à ce personnage.Penser à moi était pour Jérôme une façon de décoller de la tradition. Je n’ai pas envie de juger Bois d’Enghien, mais je n‘ai pas envie de le rater. Donc il faut faire bien entendre ce qu’il dit. Et puis, je suis ce que je suis, j’ai une bonhomie naturelle. Il fallait trouver un équilibre entre ce qu’il est et ce que je suis. Ce gars est juste pathétique… Dans la dernière scène, étriqué dans le costume qu’il a piqué à Bouzin, il est navrant. On devine le bourgeois triste et désabusé qu’il va devenir.La mise en scène de Jérôme Deschamps est un bel hommage à celle de Jacques Charon.Ce qui est beau dans le travail de Jérôme, qui est un malin, c’est qu’il lui rend hommage tout en faisant une relecture. Le temps a passé. L’élément nouveau est qu’aujourd’hui le Français possède une troupe aussi épatante qu’à l’époque de Charon.Le premier acte est à l’identique…Parce qu’on ne fait que suivre les indications de Feydeau. Si on n’en tient pas compte cela ne fonctionne pas. Les portes, c’est ce qui ferme la cocotte-minute. C’est parce qu’il y a des contraintes que l’on trouve son espace. Si on enlève des éléments, la mécanique se brise.Mais Deschamps a quand même réussi à inscrire sa patte...Je pense que Deschamp est l’héritier des vaudevilles. Dans ces spectacles, on trouve légèreté et cruauté, brutalité, cynisme et en même temps drôlerie, humanité. Les gens rient, éclatent de rire, car il y a chez Feydeau une qualité d’observation, comme chez Molière. Feydeau ne veut pas dénoncer sa classe. Il en parle, montre ses travers, sans remettre en question. On sort de ses pièces en se disant, quel monde effrayant.Jouer du Feydeau, c’est une partie de tennis où le partenaire est important…Tu envoies des balles et il faut qu’elles te reviennent. C’est à cela que servent les répétitions. C’est ce mécanisme que Jérôme a su mettre en place. Il a pu travailler ce répertoire parce qu’il avait confiance dans la troupe. Sa préoccupation première a été la perception de l’ensemble, décors, costumes, lumières… Puis il a assemblé tout le monde dans la mécanique de Feydeau, en faisant confiance aux inventions intérieures de chaque comédien.Cela doit être un régal de jouer avec de tels partenaires.Que du bonheur ! Dans cette troupe, il n’y a pas une personne avec qui je n’ai pas envie de travailler. Il y a soixante comédiens, c’est énorme. La troupe a un niveau d’excellence qui repose sur la qualité humaine et le talent artistique des gens qui la composent. La mécanique mise en place par Feydeau se remplit de chair, de sens, parce qu’à l’intérieur il y a une richesse.Connaissant votre carrière, votre entrée à la Comédie-Française m’a surprise…Le mot troupe a son importance dans mon histoire. Cela a débuté dans mon village du Doubs dans la troupe amateure de mes parents… Ensuite, c’était toujours présent, que ce soit à l’école nationale de Strasbourg, avec le théâtre du Troc, avec Hourdin, Pitoiset, Lagarce, Berreur, Jemmet. Alors pourquoi après trente ans d’intermittence, je me suis retrouvé au Français ? Il y a des choses qui ne s’expliquent pas. Daniel Znyk, un ami, décède brutalement. Il devait jouer Partage de midi. On m’a appelé pour le remplacer. C’était comme si Daniel m’avait donné le rôle et la possibilité d’entrer au Français. C’était le bon moment, cela s’avérait juste.Un Fil à la patte à la Comédie-Française