Depuis Man Push Cart (2005), Ramin Bahrani construit discrètement une oeuvre cohérente qui enregistre avec un regard critique l’évolution rapide de la société américaine. 99 homes, son sixième long-métrage, s’attaque cette fois-ci au sujet du logement, pour montrer comment il est vécu des deux côtés de la barrière (chez les exlus et chez les possédants), et comment cette barrière n’a rien d’infranchissable.

Le film commence avec une intensité douloureuse lorsque Dennis Nash (Andrew Garfield), un ouvrier du bâtiment condamné au chômage par la crise immobilière, est dépossédé de sa maison parce qu’il ne peut plus payer les traites. Lorsque le  sheriff, accompagné du spéculateur immobilier Rick Carver (Michael Shannon), arrivent pour l’expulser, il a juste quelques minutes pour vider les lieux. L’éviction est traitée avec un réalisme brutal qui incite à compatir immédiatement avec Nash et sa famille, tandis que Rick Carver passe pour un monstre révoltant.

Mais comme tout bon thriller, 99 homes est rempli de surprises. Après s’être installé provisoirement dans un motel rempli d’expulsés, Nash retourne chez Carver pour récupérer des outils qu’on lui a volés, lorsque le hasard et la nécessité le font basculer dans une zone grise complexe. Le voilà employé par celui qui l’a poussé au bord du désespoir, à faire le même métier, pour lequel il se révèle doué. De son côté, Carver apparaît progressivement plus humain - il justifie en tout cas pourquoi il fait ce métier. Son père s’est tué au travail, et pour ne pas suivre ses traces, il a préféré choisir le camp des gagnants, sachant que dans l’Amérique d’aujourd’hui, les places sont de moins en moins nombreuses. Citant la Bible, Carver explique que “dans l’arche de Noé, il y avait une place pour 1000 candidats” et il ne voulait pas faire partie des noyés.  A son contact, Nash finit par s’habituer à l’argent facile et oublie qu’il est devenu un salaud, jusqu’au prévisible troisième acte qui va le confronter à sa conscience.

99 homes est un thriller de gauche hyper efficace qui doit beaucoup de son impact à ses principaux interprètes. Michael Shannon n’est jamais aussi bon que dans  ce genre de rôle de salaud qu’on adore haïr pour sa complexité, mais qu’on est à deux doigts d’admirer aussi pour son inflexibilité.

Andrew Garfield a trouvé un rôle qui est presque le reflet de son propre parcours hollywoodien, et peut-être une manière de s’excuser pour avoir cédé aux sirènes de l’industrie en jouant précédemment Spiderman. Sauf qu’il n’y a pas de honte à travailler alternativement pour les studios et pour les indépendants. Mais ici plus qu’ailleurs, il a l’occasion de prouver ses grandes capacités d’acteur. 

Par Gérard Delorme

99 Homes n'a pas encore de date de sortie française. Mais après Venise, le film sera présenté au festival de Toronto.