Tim Burton
Reynaud Julien/APS-Medias/ABACA

Le réalisateur, honoré au Festival Lumière, a donné deux leçons de cinéma : une masterclass et une conférence de presse. La suite de Beetlejuice, Netflix, sa relation avec Johnny Depp, la fin de sa carrière chez Disney, tout y est passé ou presque.

"Je n’ai jamais ressenti autant d’amour que ce soir… je ne l’oublierai jamais." Tim Burton était ému aux larmes en recevant le Prix Lumière 2022, vendredi soir, au terme de la cérémonie et après le visionnage d'un montage affolant mélangeant l'ensemble de sa filmographie, faisant tourbillonner freaks et fantômes au son de la musique de Danny Elfman, évidemment. Dans l'après-midi, le réalisateur avait donné une masterclass pendant laquelle il est revenu sur sa carrière et ses choix artistiques. "Au début je rêvais d’être Godzilla, d’enfiler un costume et de détruire Tokyo. Ça n’a pas marché", a-t-il raconté, revenant sur son enfance dans la banlieue proprette de Burbank, sa conscience d'être à part, et du cinéma comme un refuge : "Burbank était bizarre, toujours le même climat… je me réfugiais dans l’obscurité d’une salle de cinéma", s'est-il souvenu. "Les films étaient ma thérapie, mon exploration. J’étais un cinéphile normal, donc complètement anormal. J’ai grandi avec des films de monstre, j’aurais voulu être Mario Bava, par exemple."

Pas besoin d'être devenu un autre Mario Bava : il est devenu Tim Burton, une vraie rock star, à juger par les cris de joie des fans de tous âges -très jeunes, d'ailleurs- venus l'applaudir et l'adorer à Lyon. Sa popularité en tant que personne reste intacte, comme ses univers et ses personnages, d'Edward aux mains d'argent à Jack Skellington en passant par Ed Wood et Batman. La marque Burton, du moins en France, semble avoir passé les époques et reste un refuge pour celles et ceux qui se sentent un peu décalés dans leur rapport au monde. "La réalité ? Je ne sais pas ce que c’est", a affirmé le réalisateur. "Demandez à mon psychiatre." Une boutade toute burtonnienne. Il reste fidèle à lui-même, à son image. "Même si j’ai eu du succès, les studios ne me comprenaient pas. Mais quand je suis devenu un "truc", ils ont été plus regardants. Comme si j’étais devenu une marchandise. Je voulais faire une version comédie musicale du Musée de cire avec Michael Jackson. Et ils ont dit non. Vous imaginez ?"

De fait, Burton a rappelé qu'il a toujours travaillé au sein des gros studios : un drôle de bonhomme au sein du système, dès son école d'animation où il se livrait à un drôle de jeu avec ses potes étudiants, comme il l'a raconté : "A CalArts, une légende racontait que le corps congelé de Walt Disney était caché quelque part dans les sous-sols. On passait notre temps à le chercher." Burton a fini par trouver Disney, en travaillant sur l'animation de Rox et Rouky puis Taram le chaudron magique (très gros flop en salles). Sa recontre avec son idole Vincent Price pour son court-métrage en stop motion Vincent (1982) change tout. "Je lui ai envoyé le scénario de mon court-métrage, et il a accepté ! Sans lui, je ne serais pas là." L'acteur fétiche de Roger Corman jouera le savant créateur du héros chelou d'Edward aux mains d'argent (1990), le film post-Batman qui scellera aussi sa fusion avec son double, Johnny Depp. "Johnny était une sorte de white trash de la banlieue. J’ai connecté avec lui dès que je l’ai rencontré pour Edward aux Mains d’argent. Le truc était de le transformer le plus possible à chaque film", raconte Burton. "Disney aimait Depp, mais il ne le comprenait pas. Il y avait une sorte de drôle de relation en mode yin-yang entre lui et eux. C’est ce qui m’est arrivé au début de ma carrière."

Lors de la remise du prix Lumière, les deux bandes-annonce du prochain projet de Tim Burton, Mercredi, ont été projetées sur grand écran. Une série en huit épisodes sui sera diffusée sur Netflix le 23 novembre, spin-off de La Famille Addams où la fille aînée de la famille se retrouve dans un lycée louche. Lors de la conférence de presse, Burton est revenu sur l'expérience : "Je n’avais pas vraiment envie de faire un film sur la famille Addams. Mais le personnage me plaisait. Comme Lydia dans Beetlejuice, qui était un peu moi ado. Mercredi, j’aime son attitude envers l’école, les parents et tout. J’aurais pu être Mercredi." Qu'a-t-il trouvé chez Netflix qu'il n'y avait pas chez les autres studios ? "Netflix, au départ c’était "viens faire ton film là, il y a de l’argent." Maintenant, il y a des businessmen qui te disent quoi faire. Donc c’est devenu un studio comme les autres, il n’y a pas de différence." En parlant de studio, le réalisateur est revenu sur son expérience Dumbo, le second remake en live action chez Disney après Alice au pays des merveilles (2010) : "Avec Dumbo, j’ai réalisé que mes jours chez Disney étaient terminés. J’étais Dumbo. Je travaillais dans ce cirque horrible et je devais m’échapper." plus de Disney pour Burton, donc, et certainement pas un Marvel dans l'avenir : "ils n’ont pas vraiment besoin de moi. J’ai déjà du mal avec un seul univers, alors imaginez-moi dans un multivers !"

Concernant une éventuelle nouvelle collaboration avec Johnny Depp, Burton est resté diplomate : il ne prévoit rien avec son ex-acteur fétiche, mais il a déclaré que "ce serait super qu’il se redirige vers le cinéma indépendant." Et que si une idée se présente avec lui, il serait ravi de le faire. Pour la suite de Beetlejuice qui revient régulièrement dans l'actualité, il n'est pas impliqué mais ne s'interdit rien. Revenant sur sa relation avec les studios, Burton a livré cette analyse : "Avant les studios étaient dirigés par des gens qui faisaient des films -et puis ils ont été conquis par le business et les juristes. (…) Maintenant on revoit des réalisateurs et des producteurs dans les studios, peut-être que ça va dans le bon sens. La pandémie est arrivée au moment où les studios voulaient tout mettre en streaming. J’en ai profité pour m’éloigner un peu. Mon prochain film de cinéma, je veux qu’il soit vraiment important pour moi."