Strange World : l'ode à l'aventure de Disney à voir en famille [critique]
Disney

Prêts pour de la SF originale, positive et pleine de couleurs, inspirée par de grands classiques de la littérature et du cinéma (Voyage au centre de la terre, Indiana Jones...) ?

Quelques mois après Buzz l'éclair, l'extension ratée de l'univers de Toy Story vers le film de science-fiction, les studios Disney sortent cette semaine sur Disney+ un nouveau film d'animation, officiellement dans le même registre, mais bien plus riche : Avalonia, l'étrange Voyage. Réalisé par Don Hall (Les Nouveaux héros) et Qui Nguyen (Raya et le Dernier Dragon), il suit la famille Clade, explorant les profondeurs de leur monde pour tenter de comprendre pourquoi le Pando, la plante miraculeuse découverte 25 ans auparavant, qui leur a permis de développer une agriculture plus écologique et profitable à tous, est en train de se tarir. Là où Buzz reprenait en vrac des oeuvres de la SF moderne, de Star Wars à la série Perdus dans l'espace en passant par L'Etoffe des héros, mais ne parvenait jamais à justifier clairement l'existence de ce film dans l'univers de Toy Story, Strange World (c'est son titre en VO), mixe plutôt des références classiques, Voyage au centre de la terre, de Jules Verne, en tête. Tout en leur donnant un coup de jeune, ainsi que des couleurs particulièrement vives. Ce concept offre à ses créateurs un drôle de terrain de jeu, leur permettant de multiplier les créatures et environnements jamais vus. Un peu à la manière d'un certain James Cameron avec la faune et la flore de Pandora dans Avatar, mais avec d'autres choix de design.

Le fait que ce projet soit totalement visible et compréhensible en solo, en dehors de toute saga, est le premier élément rafraichissant d'Avalonia. Autre point fort : il est visible en famille, même avec de jeunes enfants : sans grand méchant, ni monstre effrayant, ni mort marquante, il s'adresse à tous. Pas besoin ici de tuer l'un des parents pour qu'on s'attache au jeune héros, contrairement aux constructions habituelles des films d'animation du studio, de Bambi à La Reine des Neiges en passant par Le Roi Lion. Le film d'animation ne croule pas non plus sous les chansons, ce qui ravira le public allergique aux tubes de Disney, si forts pour rester dans la tête. 

Strange World (Avalonia) va perdre 100 millions de dollars au box-office

L'idée ici est de développer habilement les relations entre trois générations d'hommes/héros, ces termes prenant un sens différent pour le grand-père aventurier Jeader, le fils fermier Searcher, ou le petit fils Ethan. Lui n'a pas encore trouvé précisément sa voie, mais il sait qu'il ne veut devenir ni l'un ni l'autre. Mettant en avant son esprit de coopération (notamment lors d'une scène géniale où il essaie d'enseigner les règles d'un jeu de société à ses aînés, afin qu'ils apprennent à s'entraider et non à essayer de s'éliminer), il est véritablement le coeur du film, symbole d'une jeunesse curieuse, consciente des problèmes de son temps, et pleine de ressources quand il s'agit de trouver une solution à une catastrophe écologique de taille. Autre élément bien amené, important sans être non plus trop appuyé : Ethan est gay, fou amoureux d'un jeune garçon de son âge, sans que ce ne soit jamais jugé par ses proches. C'est au contraire un élément parmi d'autres construisant sa riche personnalité. C'est la première fois que Disney mise ouvertement sur un protagoniste LGBT, après plusieurs tentatives maladroites : on sait qu'une scène de baiser entre deux femmes avait été coupée, puis remise, dans Buzz l'éclair plus tôt dans l'année, mais cela concernait un personnage secondaire. Et si des allusions ont pu être repérées dans Luca, Alerte rouge ou Encanto, récemment, en jouant sur les codes couleurs des drapeaux lesbiens ou non-binaires, par exemple, les relations amoureuses entre deux femmes ou deux hommes n'étaient jamais véritablement montrées. Ici, c'est clair, et mis en scène de façon naturelle, comme faisant partie de la vie d'un ado d'aujourd'hui. Et ça fait du bien. 

Sur le plan technique, l'animation moderne est à la hauteur de ce que l'on attend d'une telle production, sans être pour autant bluffante. Il y a peu d'effets "wow" ici, ni de grosses surprises : la petite créature guidant la famille à travers les profondeurs, Splatt, est tout à fait dans la veine des "sidekicks" rigolos de Disney, tout comme le chien à trois pattes, plein d'entrain, mais peu réfléchi, qui les accompagne avec joie. Le design des héros est parfaitement dans la veine des films d'animation actuels, ses personnages métissés rappelant tous ceux de la famille Madrigal et de leur voisinage. Côté scénario, si vous avez vu ou lu beaucoup de SF, vous ne serez pas surpris non plus, mais ce côté "traditionnel" n'est pas gênant, puisque pleinement justifié par l'histoire que ses créateurs veulent raconter (parenthèse à lire APRES avoir vu le film, car attention aux spoilers : les scénaristes d'Avalonia se sont ouvertement inspirés de L'Aventure intérieure et d'Ego, la planète qui est aussi le père du héros des Gardiens de la Galaxie 2. Choisir Dennis Quaid pour doubler l'aventurier perdu dans un monde-corps, 35 ans après la sortie du film culte de Joe Dante, n'a rien d'un hasard).

Parsemée de réflexions intergénérationnelles touchantes et développant de la SF positive (ce qui est assez rare pour être souligné), Avalonia est un film doux, devant lequel on passe un bon moment, clairement créé pour rassembler les générations devant une même aventure. Dommage que sa promotion ait été si minime : il a fait un flop aux Etats-Unis malgré sa sortie durant le week-end férié de Thanksgiving. Son marketing a-t-il été limité par Bob Chapek, l'ex-patron du studio, qui a entraîné la colère de ses employé LGBT plus tôt dans l'année ? Le film n'a eu droit qu'au strict minimum -quelques affiches et bandes-annonces, peu de produits dérivés- avant sa sortie. Le fait qu'il ne s'inscrive pas dans une franchise a sans doute joué aussi contre lui, mais cela n'explique pas complètement ses petits scores au box-office, puisque des oeuvres comme Vaiana ou Encanto ont su trouver leur public, sans pour autant être d'énormes cartons. Est-ce l'aspect SF qui a refroidi les spectateurs ? Les précédentes tentatives animées du studio (Atlantide, Lilo et Stitch et La Planète au trésor, sortis au tournant de l'an 2000) n'avaient pas non plus été de grands succès... Autre problématique, en France : la branche locale de Disney a décidé de le diffuser directement sur Disney+, sans passer par la case cinéma, afin de militer contre la chronologie des médias mise en place chez nous. Malgré ses qualités, Strange World paye malheureusement les pots cassés de stratégies qui le dépassent. Enfin, soyons optimistes, comme Ethan : débarrassé du poids du box-office, peut-être réussira-t-il à réunir de nombreux spectateurs en streaming ?

 

Avalonia l'étrange voyage est disponible sur Disney+ le 23 décembre 2022.