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Suite de sa Danza de la Realidad, Poesia sin fin raconte l'adolescence de Jodorowsky à Santiago. 

Trois ans après son stupéfiant retour La danza de la realidad où Jodorowsky faisait preuve à 80 ans d'une énergie et d'une inventivité à rendre jaloux beaucoup de  jeunes cinéastes, le voilà qui reprend son récit autobiographique là où il l'avait laissé. Il enchaîne avec le même interprète Jeremias Herskovits (qui a pris une quinzaine de centimètres), qu'on retrouve à la veille de prendre de grandes décisions. Son père est de plus en plus tyrannique et le jeune Alejandro est sommé de s'affirmer. Il est mis à l'épreuve lorsqu'il rencontre un jeune poète de son âge qui tombe fou amoureux de lui. Alejandro n'est pas homosexuel - ce qui brise le coeur du garçon - mais ses yeux s'ouvrent sur la voie à suivre : il sera poète. Et pour son père, cela revient au même : c'est une activité de maricon.

Cette étape cruciale le transforme une fois de plus:  Alejandro adulte est désormais incarné par Adan, le propre fils de Jodo et auteur de la musique et le récit initiatique qui suit perd en symbolisme ce qu'il gagne en sensibilité. Un exemple : lorsque lui et son ami poète décident de respecter à la lettre les principes qu'ils se sont imposés, ils le font littéralement, notamment lorsqu'il s'agit d'avancer en ligne droite. Ils ne contournent jamais l'obstacle et traversent les maisons.

Eclairé par Chris Doyle (jamais là où on l'attend), Jodorowsky égrène quelques figures récurrentes, mais adoucies : auparavant, pour signifier qu'il avait assimilé le savoir des maîtres qu'il rencontrait, il avait l'habitude de les tuer pour se réincarner en eux. Ce n'est plus le cas. Ou du moins, pas aussi radicalement. Le poète qu'il admire et qui lui sert de modèle se révèle, à sa grande déception, d'une repoussante normalité quand, ne pouvant vivre de son art, il est obligé d'exercer un vrai métier. Il y a toujours du cirque et des freaks (l'occasion d'une très belle scène d'amour avec une personne de petite taille). Le moment le plus émouvant de ce parcours sans arrêt marqué par un rapport conflictuel avec le père arrive à un nouveau moment clé, celui où le poète s'apprête à gagner l'Europe. Avec ses adieux au père avec lequel il ne s'est jamais entendu, il conclut sur une note chargée d'émotion.