Babylon
Paramount

Rencontre avec l’acteur mexicain, encore inconnu hier, qui tient aujourd’hui l’affiche du nouveau Damien Chazelle aux côtés de Brad Pitt et Margot Robbie.

Ceux qui suivent Narcos : Mexico l’ont vu en 2021 dans quelques épisodes de la troisième saison de la série Netflix. Ceux qui fréquentent le festival de Locarno se souviennent peut-être de lui dans Te Prometo Anarquia, de Julio Hernandez Cordon, un film présenté là-bas en compétition en 2015. C’est pointu, oui. Tout ça pour dire que le Mexicain Diego Calva, 30 ans, était il y a peu de temps encore un comédien plutôt confidentiel. Jusqu’à ce que Damien Chazelle lui confie le rôle principal de sa fresque cinéphile Babylon, plongée tapageuse dans les coulisses cocaïnées du cinéma américain des années 1920. Aux côtés d’une Margot Robbie déchaînée et d’un Brad Pitt croqué en demi-dieu fourbu, Diego Calva joue un Candide débarquant dans le cirque à ciel ouvert qu’était le Hollywood d’alors, un doux rêveur aux yeux écarquillés se demandant comment se faire une place au soleil. Tout ressemblance avec son propre parcours n’est d’ailleurs pas forcément une coïncidence, comme il nous l’a expliqué…

Première : Diego, racontez-nous comment on devient la tête d’affiche d’un film de prestige à 80 millions de dollars dont les seconds rôles s’appellent Margot Robbie et Brad Pitt…

Diego Calva : Damien Chazelle cherchait quelqu’un pour jouer le rôle de Manny Torres, il a dû rencontrer environ 300 acteurs latino… Au tout début de ce très long processus de casting, je n’avais pu lire que deux scènes, tout était top secret, je ne savais même pas de quel film il s’agissait, ni même qui le réalisait ! J’ai envoyé des vidéos, puis on m’a fait venir pour lire avec une actrice, et c’est seulement alors qu’on m’a informé que c’était pour le nouveau film de Damien Chazelle, et que celui-ci souhaitait me rencontrer. Wahou ! Forcément, j’étais fou de joie. Sauf que c’était, genre, le vendredi, que j’avais rendez-vous le mardi suivant, mais que le confinement a été décrété dans l’intervalle ! La production du film s’est arrêtée, je n’ai pas eu de nouvelles pendant quatre mois. Mais j’avais fini par avoir le scénario du film. Je le lisais pour le plaisir et j’ai presque fini par le connaître par cœur. J’étais persuadé que je ne ferais jamais le film, mais le scénario était vraiment fun et j’avais plein de temps libre ! Puis, un beau jour, Damien a rappelé… Je suis allé faire un chemistry test avec Margot Robbie, Damien a trouvé qu’il y avait une vraie alchimie entre nous et c’est ce jour-là que j’ai eu le rôle.

Et vous faites donc vos débuts dans un film hollywoodien en jouant un fou de cinéma qui met pour la première fois les pieds sur un plateau de tournage hollywoodien…

Oui, tout ça était très méta ! Damien a encouragé cela, d’ailleurs. Avant le tournage, alors que j’étais à Mexico, il m’a appelé pour me dire qu’il s’apprêtait à tourner une pub avec Brad Pitt… Le directeur photo de cette pub était Linus Sandgren, le directeur photo de Babylon. La costumière de la pub était Mary Zophres, qui travaillait elle aussi sur Babylon. Et Damien me dit : « Diego, j’ai une idée. Et si tu venais travailler en tant qu’assistant sur cette pub ? Personne ne saura qui tu es… » J’étais comme Manny Torres dans Babylon, en train de faire ses premiers pas à Hollywood ! Je demandais à Brad Pitt s’il avait besoin de quelque chose, un café, un verre d’eau… Et quand, quelque temps après, on nous a « officiellement » présenté pour qu’on travaille sur Babylon, Brad a un peu buggé en me voyant : « Mais… on s’est pas rencontré sur le tournage de cette pub ? »

Damien Chazelle est content que Babylon divise la critique et le public

Au-delà des parallèles avec votre propre expérience de nouveau venu à Hollywood, comment avez-vous composé le personnage ?

Damien m’a conseillé d’étudier le visage d’Al Pacino et l’arc narratif de Michael Corleone dans Le Parrain : un homme dont on sait qu’il est bon, qu’il est intelligent, mais qu’on observe peu à peu perdre son âme, son humanité, au fil d’une lente métamorphose…. L’autre acteur que j’ai beaucoup étudié, c’est Chaplin. La façon dont il joue avec les yeux. Comme dit Pacino – pas dans Le Parrain, dans un autre film : « The eyes, chico. They never lie » ! J’ai beaucoup travaillé sur l’expressivité de mon regard, de mon visage. Manny, au début du film, ne parle pas beaucoup – il observe, il ne maîtrise pas bien l’anglais… C’était une manière de connecter le personnage, et le film avec lui, aux conventions du cinéma muet, où il s’agissait d’être très expressif, de tout exprimer par le corps, le visage, sans un mot.

Vous avez toujours voulu être acteur ?

Pas du tout, je voulais être réalisateur. Depuis que j’ai découvert Les Affranchis. « D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours voulu être un réalisateur », ah, ah ! J’ai étudié le cinéma, puis j’ai bossé sur tous les tournages qui se présentaient à moi, essayé tous les métiers possibles, assistant de production, département costumes, catering… J’ai tout fait. Encore une fois : un peu comme Manny, qui veut tellement travailler dans le cinéma qu’il accepte tous les boulots, servir le café ou faire le ménage après une fête. Puis un jour, sur le tournage du court-métrage d’un ami, un acteur ne s’est pas présenté, on m’a proposé de le remplacer, et j’y ai pris goût…

Vous jouez dans un film sur la transition du muet au parlant, au moment où Hollywood traverse une zone de turbulences assez intense. Ces parallèles qu’on peut tracer entre hier et aujourd’hui vous trottaient dans la tête pendant le tournage ?

Bien sûr, on en parlait tout le temps avec Damien ! Réfléchir à l’arrivée du parlant alors que le cinéma est menacé par la pandémie, le streaming… C’est non seulement super intéressant en soi, mais vraiment merveilleux à faire dans le cadre d’un gros film de studio.

Babylon, de Damien Chazelle, avec Diego Calva, Margot Robbie, Brad Pitt… Actuellement au cinéma.