Twentieth Century Fox

Quelques explications au triomphe de Guillermo del Toro.

3 Billboards : les panneaux de la vengeance était sans doute trop clivant

Depuis qu’il avait remporté le Golden Globe du meilleur film dramatique en janvier, 3 Billboards : les panneaux de la vengeance était placé en pôle position dans la course aux Oscars par de nombreux bookmakers. Mais le conte moral de Martin McDonagh était sans doute trop retors pour emporter la majorité des suffrages. Et trop polémique : jusqu’au bout, certains commentateurs auront accusé le personnage de « flic-raciste-qui-a-droit-à-sa-rédemption » incarné par Sam Rockwell de banaliser ou d’excuser les violences policières. Ça n’a pas empêché Rockwell de repartir avec une statuette, mais ça a sans doute contraint le film à conserver un statut d’outsider rebelle face au plus consensuel La Forme de l’eau – comme en leur temps (et toutes proportions gardées) Les Affranchis face à Danse avec les loups, ou Pulp Fiction face à Forrest Gump. Un bon film n’est pas forcément un bon film à Oscar.

Le film fait converger les luttes politiques

Quand un film emporte l’Oscar suprême, on est toujours tenté de lire sa victoire sous l’angle politique ou sociétal. Si Lady Bird avait gagné, on aurait applaudi la victoire symbolique d’un film réalisé par une femme, dans la foulée des mouvements MeToo et Time’s Up. Et si ça avait été Get Out, un an après le sacre de Moonlight, on en aurait conclu que le hashtag #OscarsSoWhite avait définitivement porté ses fruits. La Forme de l’eau, lui, fait triompher l’intersectionnalité (théorie en vogue qui invite à étudier les discriminations – sexisme, racisme, homophobie, etc – ensemble et non séparément), en relisant l’histoire de l’Amérique triomphante depuis le point de vue des minorités opprimées – les femmes, les handicapés, les gays… C’est une fable, un film fantastique, une relecture de La Belle et la Bête, oui, mais c’est peut-être aussi le film politique le plus pertinent du moment.

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C’est un hommage au cinéma

Quand ils ne sont pas occupés à faire en sorte que leurs votes aient une résonnance politique, les votants des Oscars n’aiment rien tant que célébrer les films qui clament haut et fort leur amour du septième art. Or, il n’aura échappé à personne que La Forme de l’eau est aussi une immense déclaration d’amour de del Toro au cinéma hollywoodien de l’âge d’or – pas seulement L’Etrange Créature du Lac Noir mais aussi les péplums et les comédies musicales des années 30 à 50. Le film rejoint ainsi Birdman et The Artist dans la liste des Oscars du meilleur film qui célèbrent le cinéma. Et font chavirer le cœur des votants cinéphiles.

Guillermo del Toro l’a bien cherché

Le triomphe de La Forme de l’eau parachève l’irrésistible ascension d’un réalisateur qu’on a clairement vu changer de dimension au cours des derniers mois. Sa participation l’année dernière au documentaire Netflix Cinq hommes et une guerre (où il parlait superbement de le vie et de l’œuvre de Frank Capra), son discours à Cannes pour les 70 ans du Festival (où il a redit haut et fort son amour des monstres), puis son Lion d’Or à Venise en septembre dernier… Autant d’indices qui ont démontré que le monde était enfin prêt à célébrer Guillermo del Toro dans les grandes largeurs. Ajoutez à cela une campagne promo menée de façon intensive par l’intéressé, qui a multiplié les interviews aux quatre coins du monde et les débats après les projos (plusieurs votants ont raconté qu’ils avaient été conquis non seulement par le film, mais aussi par les propos empathiques et sensibles de son auteur) et vous obtenez un cinéaste certes populaire mais hier encore peu “académique", soudain considéré comme un grand auteur contemporain. Peut-être qu’à l’heure qu’il est, Christopher Nolan se dit qu’il pourrait bien être le prochain sur la liste…