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The Knick : découvrez la genèse de la formidable série médicale de Steven Soderbergh

Réactualisation du 23 janvier  Ce soir, OCS rediffuse la série The KnickLa première saison de la formidable série médicale The Knick s'est achevée en octobre sur Cinemax (aux États-Unis) et sur OCS (en France), mais on retrouvera nos toubibs dans une deuxième saison programmée pour l'été 2015.Ces quelques mois qui nous séparent de la suite du show sont l'occasion de revenir aujourd'hui sur ce phénomène télévisuel inédit. Avec la fiction policière et le drame juridique, la série médicale est l’un des genres les mieux représentés à la télévision américaine depuis plus de quarante ans. On connaît ses codes, ses embuscades mélo, sa petite musique de vulgarisation scientifique et d’héroïsme en blouse blanche. Si quinze saisons d’Urgences ne nous ont pas qualifiés pour distribuer des trachéotomies à tour de bras, on en sort infiniment plus calés en protocoles de santé et en politique d’hôpital…Situé en 1900, à New York, dans un établissement lugubre répondant au doux nom de Knickerbrocker, The Knick est une série médicale. Elle en a les contours et l’attrait : une hiérarchie aux moyens limités, un chef intendant dépassé, des chirugiens superstars autour desquels gravitent des “internes” groupies et des infirmières romanesques, des larmes, de la tragédie, du sang… Beaucoup, beaucoup de sang. Ce qui plait immédiatement, ce qu’on reconnaît d’instinct, c’est le fameux ”héritage Urgences”, et l’apparente bonne volonté de la série à jouer selon les règles, jusque dans sa promesse d’accompagner les premiers pas (meurtriers, systématiquement) de la médecine moderne. Mais ce qui saute aux yeux, c’est l’attention portée à la crasse et au délabrement, la manière tout à fait directe avec laquelle la caméra s’immisce dans l’horreur au quotidien. Dès l’ouverture du pilote, où l’on suit, au sortir d’une fumerie d’opium, l’éminent Dr John Thackery dans sa traversée cocaïnée d’un New York vaste et babylonien qui en appelle à sa responsabilité divine de chercheur-marabout. The  Knick, c’est d’abord un lieu et une époque ; la représentation quasi-anthropologique d’une société gangrenée par la pauvreté, la maladie et la haine raciale, mais animée d’une fièvre d’invention extraordinaire (Le magnétophone ! Les rayons X ! L’automobile !). Le tout filmé à la lueur d’une bougie, d’un joli coup de pinceau sec et primitif. Un objet curieux, d’une beauté chaude et caravagesque, presque gothique. Probablement la grande oeuvre du “pré-retraité” Steven Soderbergh, qui signe à lui seul les dix épisodes de la première saison. Et de facto le meilleur rôle de Clive Owen, dissimulant toute la dimension du génie et de la vanité de Thackery sous une épaisse moustache vintage… Un incroyable tour de force artistique, d’autant que la série a été “greenlightée”, produite et mise à l’antenne en moins d’un an et demi. Du jamais vu à Hollywood.   Tout commence, ironiquement, par un mal de ventre. "C’était courant 2012, j’avais très, très mal", se souvient le scénariste Michael Begler. "Je m’en suis remis à la médecine traditionnelle, à quelques traitements alternatifs… Je ne cessais de m’émerveiller des progrès de la science tout en étant très frustré par l’étendue de ce que les docteurs ignoraient". Son compagnon d’écriture, Jack Amiel, ne rate rien des problèmes de santé de Begler : "On était comme deux papys juifs ! "Crois-moi, j’ai essayé ceci, et puis cela", "Devine quoi ? Le docteur m’a demandé un échantillon de mes excréments !"… Deux papys juifs sur un banc à Palm Beach !". Les deux hommes, qui ont une petite réputation à Hollywood en tant qu’auteurs de sitcoms (The Tony Danza Show) et de comédies familiales (The Shaggy Dog, Fashion Maman), commencent à s’interroger sur ce que la médecine sait et ne sait pas, sur la trajectoire du savoir dans l’histoire humaine en général. "Par curiosité, on a acheté sur E-Bay quelques manuels de médecine du début du siècle", raconte Begler. "Parce que je n’arrêtais pas de me demander ce que j’aurais fait cent ans plus tôt, quelles auraient été mes options… En les ouvrant, on est tombé sur un trésor caché. Tout ce qu’on lisait nous fascinait. Puis on a élargi les recherches à la vie new-yorkaise en 1900, et là encore on est tombé sur une montagne d’histoires hallucinantes… Une incroyable convergence d’évènements au même endroit, au même moment ! Idéal pour une série, d’autant que c’est une époque qui n’a jamais été traitée en télévision".En moins de deux mois, Begler et Amiel accouchent d’un script de 80 pages pour le pilote de The Knick et, au mois de mai 2013, en plein festival de Cannes, celui-ci atterrit entre les mains de Steven Soderbergh, présent sur la croisette avec Behind the Candelabra, annoncé comme son dernier film de cinéaste. "Et mon super plan-retraite a volé en éclats !", raconte-t-il aujourd’hui. "J’avais déjà organisé mon année sabbatique et j’allais maintenant devoir dire à ma femme que je partais tourner dix épisodes de télévision au lieu de passer du temps avec elle… Mais le script était si bon, je m’en serais voulu de le laisser filer. Il semblait apporter une attitude et une nouvelle modernité au genre du drame hospitalier. C’était humble, clair dans ses intentions, parfaitement calibré pour un format télé…".De retour de Cannes, Soderbergh, qui a entre-temps obtenu l’accord de principe de Clive Owen pour jouer Thackery, appelle Mike Lombardo, directeur de la programmation de HBO, pour lui proposer la série en échange d’un gros chèque, équivalent au budget d’un film de dix heures. "Ça exigeait une grande confiance de leur part, surtout qu’on se basait sur un seul script de 50 minutes", poursuit Steven. "Heureusement, tout s’est déroulé au moment de Candelabra (production HBO, ndr), littéralement une semaine après la première cannoise. C’était le moment rêvé pour aller les voir…".Compte tenu du caractère quasi-expérimental de The Knick, Soderbergh laisse entendre que la série serait peut-être plus à sa place sur Cinemax, la petite sœur agressive et “edgy” de HBO. Lombardo, qui travaille déjà à une refonte de l’identité de Cinemax (avec des séries coup de poing comme Banshee), saute sur l’occasion. Le deal est signé à la mi-juin 2013, et la décision est prise de tourner les dix heures d’un bloc et dans le désordre, de façon à minimiser les coûts de production en restant plusieurs jours dans le même décor. En août, les prises de vues doivent commencer… Problème : sur les dix épisodes que compte la série, neuf restent à écrire.Michael Begler et Jack Amiel, à partir d’une arche dramatique développée avec Soderbergh, se plongent intensément dans le boulot, aidé de Stephen Katz, un ami du réalisateur et de son producteur Greg Jacobs. "Heureusement que Katz était là", témoigne Amiel, "parce qu’on n’avait pas le temps de former des scénaristes, de les mettre à niveau sur ce qu’on avait appris. Mais Stephen connaissait ça par coeur, il avait déjà écrit sur cette période… On a donc foncé et, à nous trois, on a pondu les neuf épisodes restants en deux mois et demi ! Il n’y a pas eu de lectures des scripts avec les acteurs, comme ça se fait souvent… Les scripts partaient directement en production". Si le chantier tient debout, c’est grâce au professionnalisme aguerri de Soderbergh, et de son équipe de collaborateurs fidèles. "Je travaille avec les mêmes gens, de projet en projet", confirme le réalisateur. "Et Michael et Jack ont été incroyablement réactifs…. Un seul mauvais choix, et tout pouvait se casser la gueule". Soderbergh aurait pu se contenter de produire, de réaliser le pilote et de partir vaquer à d’autres occupations, comme le font la plupart des cinéastes en transit à la télé. Mais non : "C’était pareil sur K-Street (sa série météore sur la politique à Washington, ndr)… Je suis un "complétionniste". Je ne peux pas commencer quelque chose et le refiler à quelqu’un d’autre. C’est impossible…".Comme au bon vieux temps de la série B, The Knick témoigne des bénéfices de l’art sous la contrainte, dans un jet de mise en scène virtuose dicté par l’économie et la vitesse d’exécution. Soderbergh ne fait pas que réaliser les dix episodes, il officie également, sous le pseudonyme Peter Andrews comme directeur photo et premier opérateur camera. Quand la camera bouge avec les acteurs dans The Knick, c’est généralement lui qui la tient. A la fin d’une journée de travail, il assemble un “rough cut” de ce que l’équipe a tourné et, des semaines plus tard, supervise lui-même le montage final en post-prod. La monteuse créditée au générique, Mary Ann Bernard, est encore l’un de ses pseudonymes… Recréant avec des petites caméras digitales photo-sensibles le type d’éclairage naturaliste que Stanley Kubrick dépensa des fortunes à obtenir sur Barry Lyndon, Soderbergh fait preuve dans chaque scène d’un instinct “physique” de la narration hors du commun. C’est bien simple : aucune série télé ne peut s’enorgueillir d’une vision aussi claire, totale et unifiée. Dans son genre minimaliste, The Knick a quelque chose de monumental.Benjamin Rozovas